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Pierre d’Angoulême pour le frontis, et charpente mé- tallique tout droit sortie des cartons du cabinet Eiffel. Oui, Gustave. Celui de la Tour. Chez les grands, tout est grand. Et le jour me vit en 1891. Pas que le jour, d’ailleurs. Personne au Pays basque ne pou- vait m’ignorer. Les grands champions non plus. Des Dongaïtz à Paxkal Damestoy, en passant par Tatave Garmendia, Harambillet, Joseph Laduche et son  ls plus tard. Puis les beaux cavaliers de la  n du XXe siècle, Bidéondo, Martiarena, Biscouby et les autres.
Ce que j’aimais bien, c’étaient les dimanches matins d’hiver. Quand les Mauléonnais, derrière Espel, ve- naient animer les galeries. Il y en avait de l’ambiance ! Et tout ça  nissait chez Biscaylus, le café-restau- rant du Trinquet. Car un trinquet sans café ou restau- rant, c’est comme un tabernacle sans ciboire. Bis- caylus ! Elle en a entendu ! la grande table d’hôte qui accueillait les parties de belotes, prélude aux dé s à la pelote lancés entre 10 de der et cafés fumants. Mais je m’égare. S’il y avait des champions qui pas- saient chez moi, il n’y en avait qu’un qui y restait. Jean Urruty l’unique.
Monsieur de Saint-Jayme l’avait installé là. Pas mal, comme gardien du temple, non ? Et quel temple ! Un tambour interminable au fond duquel coulait la douche. Un seul pommeau. Surdimensionné. Ali- menté par une cuve à ciel ouvert recueillant l’eau de pluie qui descendait du toit en piqué. Et qui piquait. Pas d’eau chaude. « Les champions se douchent à l’eau froide », avait décrété une fois pour toutes Monsieur Pelote. Qui régnait sur son royaume à par- tir d’un bureau aux tiroirs multiples meublant un coin des vestiaires, d’où nasillait en permanence un poste de radio, au milieu des journaux et surtout L’Équipe. Chemise Lacoste, il affectionnait les vertes, col roulé, toujours de chez Crocodile, aux froidures, et aux temps chauds, des bermudas vastes et bri- tish, sandales blanches aux pieds, tel apparaissait le Commandeur. Comment dire autrement. Mais pas statu é, croyez-moi ! Pour le vulgum pilotari qui constituait la clientèle habituelle des parties entre copains, il avait la causticité souriante, mais sans re- tour. Combien en ai-je vus, de ces autoproclamés futurs champions, sortir du vestiaire gon és de cer- titudes et y rentrer l’ego tranché par ses commen- taires et ses jugements au laser !
Je n’ai pas abrité que des parties mémorables. Les garnements du quartier m’avaient choisi comme terrain de jeu. Gendarmes et voleurs, ou cache- cache gigantesque. Car j’en recélais des cachettes ! L’escalier qui se dérobait derrière une porte sous le tambour, pour surgir dans la boiserie sous la tribune et le Lestellloir, cet imposant meuble en bois accro- ché sous la pendule et qui proclamait en lettres do- rées et en vers de mirliton :
Devenu Lestelloir Grâce à Bernard Lestelle Joueurs, j’ai pour devoir D’être un compteur  dèle.
Je n’ai jamais su qui était Bernard Lestelle, mais ça avait de la gueule, non ? Le Lestelloir, ils n’y faisaient pas trop attention les gamins qui couraient dans mes galeries. Surtout celles du haut ! Elles en ont meurtri des tibias, les poutrelles métalliques qu’il fallait enjamber pour progresser.
Aujourd’hui, il y a moins de garnements dans mes galeries. Mais sur ma cancha, il y a toujours des champions. Aguirre, Amulet, Bilbao, Ducassou, de Ezcurra, Lambert, Larralde, Ospital, Guichandut et autres carrés d’as !
Ça fait cinq quarts de siècle que je suis là ! Et la pelote aussi.
# Jacques Garay
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