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# Roland Machenaud
JEAN-AMÉDÉE ARCÉ
La Basse-Navarre, si riche en souvenirs histo- riques, a vu grandir sur ses terres, un nombre important de pelotaris. On ne compte plus les bons joueurs de pelote des cantons de Saint- Jean-Pied-de-Port ou de Baigorry. Cependant, avec un effectif aussi riche que varié, aucun nom, depuis le légendaire Perkain, n’a pu fran- chir cette crête qui sépare les bons athlètes du Champion, avec un grand C, celui qui alimente les conversations passionnées, les jours de marché, ou simplement le soir, à la veillée. Celui qu’on n’oublie pas.
Sauf un, tout de même. Jean-Amédée Arcé. Un autre en avait les moyens, cela ne suf t pas toujours. Cet autre, Michel Etchemendi, a tou- jours considéré la pelote comme un aimable passe-temps. Cela n’a pas empêché ce natif d’Arneguy de conquérir à sept reprises le titre chez les amateurs, avant de devenir champion toutes catégories. En outre, il est un des raris- simes français à pouvoir se glori er d’une mé- daille d’or mondiale, en mur à gauche, face aux Espagnols en 1952 à Saint-Sébastien.
Parenthèse fermée, revenons à Amédée Arcé qui vit le jour au tout début du siècle, le 23 fé- vrier 1900, sur les berges de l’Ibaigorri. Son père, Jean Arcé, imitant en cela nombre de ses compatriotes, avait jugé bon d’aller voir sur place si l’Amérique était toujours au même endroit, depuis la course transatlantique rem- portée par Christophe Colomb. Nos anciens n’ont pas attendu la création des agences de voyages pour partir en villégiature. Mais ils ne partaient pas pour 15 jours, il leur fallait 15 ans au moins pour faire la différence.
À son retour, il t l’acquisition d’une petite au- berge assez modeste mais très bien située, tout au bord de la rivière. Et de plus, le contrat de vente stipulait que le trinquet attenant fai- sait partie de l’immeuble. La transaction fut signée à la n du siècle dernier. Ceux d’entre vous qui ont eu l’occasion de voir le bel éta- blissement, euron gastronomique, peuvent se faire une idée du chemin parcouru par cette fa- mille en trois générations, Jean Arcé le fonda- teur, supérieurement épaulé par son épouse, commerçante avisée, puis Jean-Baptiste frère d’Amédée, qui donna à ce petit restaurant les dimensions que nous lui voyons aujourd’hui, en n Emile, ls de Jean-Baptiste, digne continuateur de cette famille de fonceurs1.
Quand on a la chance d’être le ls d’un tenan- cier de trinquet et de faire ses premiers pas entrele«xilo»etle«pancoupé»,onpos- sède sous sa bavette quelques atouts intéres- sants. Certes, cela ne suf t pas pour faire de vous un champion de pelote, mais on se trouve déjà sur la rampe de lancement. Amédée sut en tirer merveilleusement partie, et très jeune, il af chait déjà une facilité insolente dès qu’il mettait les pieds dans un trinquet. Sa renom- mée franchit bien vite les frontières bas-navar- raises, ce qui lui permit d’être invité un jour par M. Célestin Guéraçague qui venait depuis peu de faire construire le superbe trinquet moderne de Bayonne, futur temple de la pelote. M. Gué- raçague, en l’absence des champions con r- més, mobilisés par la guerre, avait organisé un tournoi où il avait invité les meilleurs jeunes à se mesurer en tête à tête. La limite d’âge était xée à 18 ans, Arcé n’en avait que 17.
Dès les premières confrontations, les habitués du Moderne furent unanimes : personne n’était en mesure de damer le pion au jeune Baigor- riar. Il fut pourtant battu en nale par un nommé Darraidou, qui plus tard, allait défrayer lui-aussi la rubrique de pelote pendant des années. Évo- quant cette nale, perdue contre toute attente, Arcé me con a un jour que la cause indirecte de cette défaite s’appelait Lucien Intsaby, un nom qui ne vous dira pas grand-chose.
Ce dernier était un enfant du Petit-Bayonne. Les parents venus d’Hasparren, s’étaient ins- tallés rue des Cordeliers qui était une rue de ve- dettes en tous genres. Arcé commença par me dire qu’il ne voulait surtout pas minimiser la vic- toire de Darraidou, néanmoins il m’expliqua que trois jours avant la nale, il avait eu à rencontrer cet Intsaby pour se quali er, un maigrichon sor- ti des recoins du vieux quartier. Une formalité, pensait-il, mais une formalité qui l’avait amené à se « vider les tripes » pour faire comprendre à cet obstiné, qu’en pelote comme partout, il faut respecter la hiérarchie. Victoire acquise de justesse après une partie éprouvante et Arcé, le dimanche, jour de la nale, n’avait pas récupé- ré. Ce fut sa première et une de ses rarissimes défaites, dans ce domaine si exigeant qu’est le tête à tête.
1. L’ami Etcheto aurait ajouté aujourd’hui les noms de Pascal et Christine, la cinquième génération qui maintient l’établissement de Baigorry au rmament de la qualité en matière d’accueil, de gastrono- mie et d’ambiance. Leur succès actuel con rme l’excellence de cette enseigne au Pays basque.
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