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Les anciens avaient abandonné les maillots rayés d’avant-guerre pour la tenue blanche. Che- mise sans col, manches taillées un peu plus bas que la saignée du coude, large ceinture noire, le béret pour les Dongaitz, les cheveux presque à ras pour Mattin Harambillet. Propres, impec- cables, mais pas de  oritures, le dernier de leurs soucis. Les nouveaux venus arboraient une co- quette chemise avec col, manches longues at- tachées aux poignets, ceinture discrète assor- tie, cheveux soigneusement coiffés, c’était une mini-révolution. Dans le public très nombreux qui suivait les parties de pelote, deux clans se formèrent très vite, l’engouement des jeunes s’opposant à la dévotion des anciens, la mé-  ance des partisans devant la montée de cette équipe brillante. Il en résultait des prises de po- sition, des paris, des dé s et des polémiques qui débouchaient sur des rencontres homériques, dans des trinquets absolument combles et une ambiance incroyable.
Le climat était propice pour un dé  gigantesque. On n’a jamais su si l’explosion avait eu lieu à chaud ou à froid, si le prétexte en fut la phrase anodine d’Arcé. Mais l’onde de choc secoua tout le Pays basque : ce fut le dé  d’Elizondo que vous lirez plus loin dans ce livre,
dont le montant nous fait rêver. Côté supporters de choc, prêts à parier leur chemise, les Don- gaitz ne craignaient personne. Derrière Mattin Behasteguy, le suivant à la trace, il y avait éga- lement le fondateur du trinquet d’Amotz, Jean Mendionde, un intrépide celui-là aussi. Per- sonnage truculent qui avait en commun avec son ami, la ma- nière de vivre au pays, c’est à dire dé  tous azimuts, parties de mus rocambolesques et quand l’occasion s’y prêtait, un de ces repas qui vous font regretter que la nature ne nous ait doté que d’un seul estomac. Ces jeunes avaient eu l’audace de douter de Léon Dongaitz, on allait les surveiller de très près.
La défaite subie à Elizondo d’un
tout petit point n’entama nulle-
ment le prestige grandissant du
virtuose Bas-navarrais. L’au-
dience de la pelote, comme s’il en était besoin, avait encore fait un bon formidable, Arcé était demandé de partout, ne venait-il pas de rempor- ter, en compagnie de Léonis, les premiers cham- pionnats de France ? Cependant, les organisa- teurs prenaient bien soin dans leur programme de ne jamais faire jouer Arcé et Léon ensemble,
ils étaient trop forts ! Pendant quelques an- nées, Amédée domina son sujet, aucun arrière ne supportant la comparaison avec lui, et cela dura jusqu’à l’avènement d’Edouard Arrayet, un neveu des Dongaitz, un battant extraordinaire, qui en  t voir de dures à Arcé.
« Mais l’onde de choc qui secoua tout le Pays basque, ce fut le dé  d’Elizondo dont le montant nous fait aujourd’hui rêver »
Au sommet de sa popularité, harcelé par les organisateurs de trinquets ou de places libres, il accumule les rencontres de prestige, contre Léon Dongaitz et son neveu Édouard en trinquet, contre Mondragones en place libre avec des parties qui le laissent pantelant dans les vestiaires, contre Ataño III en tête, domaine où Arcé était roi. Sous son air indolent et une facilité ahurissante, il déployait des trésors d’énergie pour contenir les assauts de tous ces champions au talent immense. On n’en dou- tait pas, il paraissait si « facile » lorsqu’il jouait, mais sous cette aisance, cette décontraction,
quelle envie et quels besoins de gagner pour rester le meil- leur et conserver son prestige. Je l’ai vu un jour, de la seule main droite, pulvériser en tête à tête, le brave Durruty, qui n’était certes pas un spécialiste, mais un 50 à 20 parle de lui-même. Ceux qui suivaient régulièrement les rencontres entre amateurs, racontèrent à leurs amis qu’ils avaient vu jouer, un jeune gar- çon qui les avait étonnés, un junior qui n’avait pas 18 ans. Originaire de Mendionde, Pros- per Saint-Martin n’allait pas tar- der à devenir le meilleur joueur de place libre que nous ayons connu. Véritable ambidextre, doté d’une frappe peu com- mune des deux mains, apte à terminer le point de n’importe quel endroit du fronton, il allait très vite devenir un épouvan- tail pour les joueurs de plein air. En 1929, alors qu’il ve- nait juste d’accomplir ses 20
ans, un bruit commença à circuler. Ses parti- sans, ils commençaient à être nombreux, al- laient lancer un dé  à Arcé, l’intouchable en combat singulier. Celui-ci essentiellement joueur de trinquet portait la griffe des grands faiseurs, il était bon partout, il aurait été, s’il l’avait voulu, un grand champion d’instruments.
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