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Était-ce un canular mais non, l’information pre- nait du poids, et le public, tenu en haleine, apprit un jour que les deux joueurs s’affronteraient sur le fronton de Saint-Jean-Pied-de-Port. Fronton choisi à dessein pour sa capacité d’accueil, la plus grande de l’époque. Cette précaution ne fut pas inutile, et le fronton, immense, s’avé- ra trop petit. Pourtant, les sommes engagées étaient relativement modestes. Saint-Martin n’a jamais été un parieur. Mais le dé  était d’ordre sportif, hiérarchique. Quel était le numéro 1 en tête à tête, était-ce toujours Arcé ? Ce jeune de Mendionde, inconnu il y a quelques mois, était-il en mesure, de faire toucher les épaules au Bas-Navarrais, au faîte de son art, à l’âge de 29 ans. Certains le croyaient.
La technique supérieure d’Arcé  t la différence, le tête à tête est une spécialité impitoyable, toutes les fautes se paient, cher quelquefois
par l’octroi du but à l’adversaire qui en pro te pour glaner quelques points. Arcé, dominé en puissance, l’emporta sur le score de 35 à 27,
« Atano était un phénomène. Inutile de dire que le trinquet d’Irun ne put accueillir qu’une in me partie des candidats spectateurs.»
les spectateurs privilégiés, ceux qui avaient trouvé des places, ne furent pas déçus. Le dompteur n’avait pas été dévoré, mais l’empoi- gnade fut mémorable. Les chiffres qui suivent sont impressionnants. Le fronton avait été loué par M. Bassenave, garde-pêche assermenté, à moins avis fourvoyé dans cette profession parce qu’il n’avait rien d’un fonctionnaire. Fon- ceur, aimant le risque, il avait pris en charge le début de carrière de Saint-Martin. Il avait organisé cette rencontre aux conditions sui- vantes : une part pour l’organisation, af ches et location, plus frais divers, le reste en deux parts égales entre les deux joueurs, libre à eux de parier l’argent qu’ils voulaient.
Arcé et Saint-Martin se partagèrent 22 000 francs. 11 000 francs chacun. Arcé n’avait ja- mais touché, et de loin, un cachet semblable, pour un quasi débutant comme Saint-Martin, c’était inouï. Les grands de ce temps, perce- vaient 1 000 francs, 1 500 dans les grandes occasions. Les deuxièmes plans, entre 200 et 500 francs, un enseignant devait ga- gner 500 à 600 francs par mois. Saint-Mar- tin, dans un petit peu plus d’une heure, avait touché deux années de salaire de la direc- trice de l’école Pigier qui ne lui avait pas tel- lement réussi. La recette avait approché 29 000 francs. C’était vraiment la grande époque. Pourquoi ne reviendrait-elle pas ?
Deux ans plus tôt, Arcé avait déjà disputé une rencontre à panache. Il était écrit qu’il devait ser- vir d’étalon-test, aux rarissimes grands talents qui se révélaient par-ci par-là. Celui-ci venait de l’autre côté des Pyrénées, où, depuis trois ou quatre ans, il crevait le plafond de la popula- rité. Son nom, Atano III, le chat-tigre d’Azcoitia. L’avenir allait nous dévoiler qu’il ne s’agissait pas d’une étoile  lante, mais au contraire, du cham- pion le plus complet de tous les temps. L’année d’avant, il avait conquis le titre de champion d’Espagne aux dépens du géant Mondrago- nes, mais là-bas, on ne joue qu’en fronton mur à gauche, et le jeu de trinquet est une science dif cile, compliquée. Mais il paraissait tellement doué ce jeune prodige guipuzcuan qui volait de victoires en succès écrasants, certains vraiment stupé ants, que ses partisans s’imaginèrent que quelques séances d’adaptation au trinquet d’Irun, le seul en Espagne, suf raient à leur favori. Le plus extraordinaire, ce fut que la suite faillit leur donner raison, Atano III menait 25 à 11 en quarante points. Arcé égalisa au 32ème point pour terminer en vainqueur 40 à 33. Il n’est peut-être pas exagéré d’avancer que la remontée extraor- dinaire de notre champion fut facilitée par la fra- gilité des mains de son adversaire.
En 1929, l’année où il joua contre Saint-Martin, Arcé accorda sa revanche à Atano, toujours à Irun. Cette fois, il dut s’incliner d’une dizaine de points. Atano était bien un phénomène. Inutile de vous dire que le trinquet d’Irun ne put accueillir qu’une in me partie des candidats spectateurs. C’était le première fois qu’Arcé baissait pavillon en tête à tête, mais devant quel adversaire !
Le championnat tête à tête n’étant pas en- core à l’ordre du jour, Amédée se trouva ainsi privé d’un nombre conséquent de médailles. En compagnie de son ami Léonis, il remporta trois titres de champion de France. Son dernier championnat, il allait le remporter associé à un jeune bourré de classe, Pierre Behaska. Léonis qui approchait de la quarantaine avait cédé sa place. Arcé rayonna encore une année ou deux, mais n’arrivait plus, depuis quelque temps, à endiguer les coups de boutoir de ce lutteur ex- traordinaire qui était Edouard Arrayet. Un jour, il fut victime d’un petit incident auquel il n’atta- cha pas d’importance. Alors qu’il se désaltérait, la rencontre terminée, la bouteille de limonade glissa de ses doigts, il attribua cet engourdisse- ment passager aux séquelles d’une rencontre particulièrement éprouvante et n’y pensa plus. Quelques semaines plus tard, une deuxième bouteille glissa encore entre ses doigts. Inquiet, il s’adressa à la faculté qui ne put que lui conseil- ler un temps de repos. Il est probable qu’avec la thérapeutique sportive actuelle, Arcé aurait en- core brillé quelques années. Le moral n’y était pas, son bras ne « partait » plus comme avant,


































































































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