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Le Basque est parieur, des parieurs il y en a partout. Mais des lanceurs ou releveurs de dé s, vous pouvez vous faire le Tour de France pour en trouver, il vous faudra fatale- ment échouer au Pays basque, où ils existent depuis toujours à l’état endémique sur cette terre généreuse. Depuis toujours ? Est-ce bien sûr ?
Je me souviens avoir écrit un jour que le Créa- teur l’avait voulu ainsi. Il avait fait les Chinois jaunes, les Africains noirs et les Basques . susceptibles. À la ré exion, c’est un peu court comme raisonnement ou comme ex- plication. Alors j’ajoutais : « Mettez les meil- leurs amis autour d’une bonne table et vous pouvez parier l’argent que vous devez à votre percepteur que le repas ne se terminera sans un dé  quelconque, peut-être une partie de mus, dé  tranquille qu’on assume sans quit- ter sa chaise, mais souvent aussi, un dé  de pelote. Tout le monde quittera sa table pour le trinquet le plus proche. Pour la digestion, aucune pilule médicale n’arrive à la cheville de ce genre de dessert ».
J’ai la manie des grands écrivains, je conserve certains écrits, c’est commode. Il suf t de se recopier, et l’on passe pour avoir une ima- gination débordante. Ceci dit, il faut avouer qu’il existe une lacune dans l’histoire des Basques. À partir de quelle époque ce peuple de pasteurs, bergers ou cultivateurs sages et pondérés, qui possèdent au plus haut point le sens de la pondération  nancière, pour uti- liser un doux euphémisme, s’est-il lancé dans des dé s extravagants et en tout genre ? Il y a une anomalie, une dualité dans ce com- portement, serions-nous sans le savoir des docteurs Jekyll !
Je vais vous con er un secret de famille. Sa- vez-vous combien de parents directs sont perchés sur les dernières branches de notre arbre généalogique, tant côté paternel que maternel, oncles, tantes, cousins au premier degré, issus de germains ? Largement plus de 60, presque six douzaines. Pas mal pour deux familles, même en Pays basque, où l’on n'a pas l’habitude de lésiner sur la marchan- dise. Si vous ajoutez les parents au 2e ou 3e degré, vous pouvez repeupler la Lozère.
Au milieu de toute cette parenté proli que, je n’en ai connu qu’un qui se moquait éper- dument de l’argent. Un frère de ma mère, un
phénomène qui vous quittait pour 10 ou 20 ans, alors qu’on le croyait chez l’épicier d’en face. Tous les autres, en bons Basques, y regardaient à deux fois avant d’acheter une paire d’espadrilles. Et ces mêmes per- sonnes, ou leurs voisins, étaient capables à l’occasion d’un dé  de sortir une vache de l’étable pour appuyer les chances du cham- pion local, sans s’inquiéter de la valeur de l’adversaire. C’est tout de même curieux, ce double comportement, de quelle époque date-t-il ? Est-ce l’apparition de cette petite boule ronde et noire qui nous a  anqué le sortilège ?
JE SUIS PLUS FORT QUE TOI
Que ce soit à lever des pierres, à soka tira, et surtout à la pelote, « je suis plus fort que toi », « c’est ce que nous verrons », un déchaînement de dé s en tous genres ja- lonne l’histoire des Basques. J’en ai relevé quatre ou cinq, en dehors de celui que vous pourrez lire dans la biographie de Joseph Dongaitz.
Vous ne trouverez jamais, ou très rarement, trace d’humeur chez celui qui a perdu par- fois de grosses sommes. Est-ce par esprit chevaleresque ou plutôt sentiment, chez le battu, qu’un jour viendra où il reprendra son bien avec intérêt, ce qui atténue son amer- tume. Quelle que soit la raison de notre di- gnité dans la défaite, nous passons pour des perdants exemplaires, en pelote mais aussi sur d’autres terrains de jeu.
Avant d’entamer cette petite série, je vou- drais rappeler une anecdote que je trouve typique. Longtemps, très longtemps, des années durant, avant d’être appelé à une fonction de dirigeant, j’ai côtoyé à la pre- mière galerie de droite du Trinquet Moderne, la galerie des parieurs, un brave homme au regard malicieux qui risquait des sommes importantes. Il m’arrivait parfois d’engager des paris avec lui. Qui était-il, que faisait-il ? On se pose pas ces questions, on paye ou on encaisse, selon le cas, puisqu’on ne se revoit plus jusqu’au dimanche suivant. Te- nant compte des sommes qu’il misait et de sa disponibilité pour ne manquer aucune partie, même les rares se jouant en semaine, j’en avais déduit sans y attacher d’impor- tance qu’il devait être indépendant, artisan
LES DÉFIS
# Roland Machenaud
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