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ou commerçant, peut-être propriétaire ter- rien. Quel ne fut pas mon étonnement de le rencontrer un jour, dans une des plus grandes communes du Pays basque, au milieu d’une rue, dont il barrait momentané- ment le passage, attelé à une petite voiture de nettoiement. Balayeur municipal, canton- nier plutôt, ça fait mieux. Au passage, il me t un petit signe discret. Il n’est plus, après une retraite paisible durant laquelle il conti- nua toujours à fréquenter les trinquets. Les sommes engagées par ce balayeur étaient d’une disproportion effarante avec son état. Mort, enterré avec l’estime de ceux qui l’ont connu, on l’appelait Xirripa. Un surnom, cer- tainement.
LE CÉLÈBRE GASKOINA
À présent, nous allons changer de braquet, ça va monter dur, tant sur le plan de la qua- lité du dé que sur celui du montant des paris. Le plus grand dé de l’histoire de la pelote, quel que soit l’angle, sous lequel on peut le regarder. C’est le célèbre Haspan- dar Gaskoina, digne successeur dans la ferveur populaire, du légendaire Perkain qui en fut le héros. Héros du premier France/ Espagne rapporté par les historiens.
Dans les premières décennies du siècle dernier, la pelote se jouait à l‘aide d’un gant de cuir pour deux spécialités essen- tielles, l’axoa, jeu de plein air, et le pasa- ka en trinquet. Puis le rebot prit le relais de l’axoa avec l’appoint d’un mur et d’un cinquième joueur. On y jouait davantage de l’autre côté des Pyrénées où se trouvaient de très belles équipes, la meilleure étant, sans conteste, celle menée par le redou- table Tripero qui faisait le vide en Navarre comme en Guipuzkoa.
« Parmi tous les adversaires qu’il n’arrêtait pas de battre, s’en trouvait un qui avait fait un rêve, battre un jour Tripero. »
Parmi tous les adversaires qu’il n’arrêtait pas de battre, s’en trouvait un qui avait fait un rêve, battre un jour Tripero. Dans ce but, il avait monté plusieurs combinaisons, qui toutes avaient échoué face à l’intraitable champion espagnol. Ce joueur qui mijotait des plans de vengeance, vengeance spor- tive heureusement, était un prêtre curé de Lesaka, en Navarre. Oh ! Il se doutait bien qu’il n’y avait qu’un joueur qui pourrait lui procurer cette joie qu’il attendait depuis
longtemps, cette victoire qui ne voulait pas de lui. Ce joueur, il ne le connaissait pas, mais ceux qui l’avaient vu lui en avaient telle- ment dit de bien qu’il résolut d’essayer de le joindre, mais ce joueur habitait en France, à Hasparren, comment le voir et le convaincre, lui qui habitait si loin ?
SUR LA ROUTE D’HASPARREN
Il s’en ouvrit à un ami, prêtre comme lui et joueur de pelote lui aussi. Ils étaient nom- breux les prêtres pelotaris autrefois, celui-ci of ciait dans un village de la vallée du Baztan et s’appelait l’abbé Joakin Gamio. Ce der- nier, enthousiasmé, offrit ses services pour se rendre à Hasparren, ce qui représentait une petite expédition, se faisant fort de convaincre notre célèbre bouvier à compléter l’équipe du curé de Lesaka. Mais tout faillit capoter, avant même le début des transactions, l’évêque de Pampelune, responsable du diocèse, refusa catégoriquement de donner son accord au curé, laissant par contre la bride sur le cou à l’abbé Gamio. On n’a jamais su quelle était la raison de ce distinguo, mais ce n’est sûrement pas un incident à classer dans les mystères de la religion. Fallait-il abandonner le projet ambi- tieux ? Certes pas, convinrent les deux prêtres, et l’abbé Gamio prit la route de Hasparren.
Ce n’est pas sans appréhension que le vicaire navarrais franchit la frontière. Gaskoina accep- terait-il de se prêter au plan déjà bouleversé par l’évêque de Pampelune ? Il allait vite être rassuré, le Français accepta d’emblée, il ne craignait nullement celui dont il avait entendu parler, qui tenait là-bas le rôle que lui-même occupait ici. Il était disposé à rencontrer Tripe- ro, à une condition qui assomma le bon abbé Gamio, il voulait choisir ses équipiers, c’était le coup de masse pour l’ambassadeur. Devant le désarroi qui se lisait sur le visage de son inter- locuteur, Gaskoina lâcha un peu de lest, il offrit à l’abbé une place dans son équipe, il y aurait ainsi un représentant de la vallée du Baztan. Il fallait en passer par là, ou repassait la frontière les mains vides, et l’accord fut conclu.
Il est probable que sur le chemin du retour, l’abbé songea à la déception de son ami de Lesaka, mais tout compte fait, il n’y avait pas d’autre solution si on voulait voir face à face ces deux géants du rebot. Mais il ne vint cer- tainement pas à l’idée du vicaire qu’il venait de déclencher la préface d’un événement historique dans le monde de la pelote. D’une rencontre comme une autre, sans doute un peu plus corsée, à laquelle avaient songé les deux prêtres, allait se substituer la partie du siècle.
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