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En l’absence de toute fédération, il n’y avait ni compétition of cielle ni règlement écrit. Seu- lement celui inspiré par la tradition et scrupu- leusement respecté. Les rencontres étaient organisées à l’occasion de fêtes ou de dé s, et dans tous les cas, les entrées étant gra- tuites, des foules imposantes ceinturaient le fronton.
« En l’absence de toute fédération, il n’y avait ni compétition of cielle ni règle- ment écrit »
Dès que la démarche et la visite de l’abbé Gamio commencèrent à  ltrer, on ne parla plus, sur tous les marchés traditionnels des deux versants des Pyrénées, que de l’éven- tualité de cette rencontre. Allait-elle avoir lieu, qui Gaskoina choisirait-il, quel serait le mon- tant du dé  ? Le choix de ce dernier se porta sur son ami Harriague Dominique, buteur, et Haspandar comme lui, sur Dominique Saint- Jean à la raie et Dominique Ezpeleta, avec l’abbé Gamio cela ferait le compte. Ce choix indiquait qu’il y avait de fortes chances que le dé  aurait lieu, et bien qu’aucune date n’ait été annoncée, un vent de sud jamais vu ba- laya tout le Pays basque. Chaque jour de mar- ché faisait monter la température, et comme si cela ne suf sait pas, les Haspandars virent arriver un jour une voiture de maitre qui s’ar- rêta sur la place de l’église. Un homme fort distingué en descendit, et demanda où se trouvait la demeure du champion local. On lui indiqua, un peu plus bas, près du cimetière. Que venait faire cet étranger ? Que venait-il offrir ou proposer à Gaskoina ? N’était-ce- pas un émissaire de l’autre côté, venu sou- doyer le célèbre bouvier ? Le pire était que Gaskoina, harcelé de questions, éludait tou- jours les réponses, laissant les gens dans l’incertitude.
Quelques jours plus tard, la nouvelle tomba comme la foudre, ça y était, la date était arrê- tée, la partie aurait lieu le 12 août 1846, à Irun. Pourquoi Irun, pourquoi chez l’adversaire se demandait-on chez nous ? Il fallait bien jouer quelque part, on peut aussi supposer qu’en agissant ainsi, Gaskoina faisait une conces- sion aux abbés, et montrait qu’il ne craignait pas ses futurs adversaires.
UN VENT DE FOLIE S’EST EMPARÉ DES BASQUES
Ce fut la ruée vers la ville frontière espagnole, des milliers de personnes, venus de tous les coins, et dont la moitié allait se contenter d’écouter, portée par le vent, la litanie des
points chantés par le conteur venu de Vila- bona. Les sommes pariées atteignirent des montants astronomiques, ceux qui n’avaient pas assez de liquide, gagèrent bétail ou ré- colte à venir, une véritable folie. Un quoti- dien du Havre, (c’est loin de chez nous et de Marseille), titra les jours suivants : « Un vent de folie s’est emparé des Basques ». L’ar- ticle disait que des millions avaient changé de mains.
La rencontre fut digne de tout ce remue-mé- nage, dura plusieurs heures, les Gui- puzcoans étaient vraiment très forts, mais Gaskoina stupé a ceux qui ne le connais- saient pas. Il se surpassa, c’est la marque des grands, aux nerfs d’acier. En cours de jeu, ses sandales ayant rendu l’âme, il se mit à jouer pieds nus. Ce n’était pas un handi- cap, c’était sa manière habituelle, hormis le dimanche. Hasparren n’était pas encore la capitale de la chaussure.
Les partisans de Tripero qui n’avaient pas douté un instant de la victoire de leur favori, donnaient des signes d’inquiétude à mesure que la partie leur révélait un joueur plus fort que le leur. Certains d’entre eux, malhon- nêtes, lancèrent des semences sur le sol, a n d’handicaper l’Haspandar et ses pieds nus. Rien n’y  t, notre bouvier remporta ce jour-là la victoire qui allait le faire rentrer vivant dans la légende. Les bersularis s’en emparèrent, la chanson à la gloire de Gas- koina existe toujours. J’avais à peine 8 ans, lorsque mon grand-père m’en enseigna les premiers couplets.
« Gaskoina remporta ce jour-là la victoire qui allait le faire rentrer vivant dans la légende. »
Le soir de cette rencontre, les vainqueurs, sur le chemin du retour, s’arrêtèrent à Bayonne où la nouvelle victorieuse les avait précédés. C’était jour de foire, raison sup- plémentaire pour festoyer. Nos joueurs ne se  rent pas prier pour mêler leurs voix à celles qu’on entendait un peu partout, dans les bars du Petit Bayonne.
L’inconnu entrevu à Hasparren descendit de sa voiture de luxe et offrit au bouvier Gas- koina une paire de bœufs avec une très belle paire de couvertures et un joug aux rubans multicolores. Personne ne connaissait ce mécène qui avait dû gagner beaucoup d’argent ce jour-là.
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